Caractérisation des habitats optimaux pour le repeuplement de civelles d'anguille européenne dans le bassin hydrographique de la Meuse

Abstract

L’anguille européenne (Anguilla anguilla) est une espèce migratrice catadrome en danger critique d’extinction. Le niveau de recrutement en civelles transparentes (le stade juvénile occupant les estuaires) en mer du Nord a chuté de 97,2% par rapport au niveau de référence de 1960-1979. Le stade anguille jaune (croissance en eau douce), qui remonte en Meuse belge, a diminué de 95,5% par rapport à 1992. L’Union européenne a imposé en 2007, via un règlement, des mesures qui visent à restaurer et protéger les populations d’anguilles dans les pays de l’Union Européenne. Une des mesures de gestion préconisée consiste à repeupler les systèmes hydrographiques où la raréfaction ou l’absence de l’espèce est observée, par le biais d’individus juvéniles provenant d’estuaires où l’espèce est encore abondante. Le Laboratoire de Démographie des Poissons et d’Hydroécologie de l’Uliège a mis en lumière l’efficacité potentielle d’une option de repeuplement inédite : transloquer des civelles dans des ruisseaux situés à plus de 300 km de la mer. L’objectif principal du présent mémoire est de faire le lien entre les caractéristiques de l’habitat et le niveau de rétention (en termes de survie et de croissance) des jeunes anguilles afin de caractériser les habitats optimaux pour le repeuplement de civelles dans le bassin hydrographique de la Meuse. Pour cela, nos objectifs spécifiques étaient de déterminer l’abondance, la densité et la croissance des jeunes recrues d’anguilles dans les secteurs d’études, de préciser la préférence des anguillettes (jeunes anguilles jaunes) pour les microhabitats et de tester les gains biologiques liés à l’utilisation des microhabitats spécifiques. Des civelles transparentes provenant du Sud-Ouest de la France ont été déversées sur 43 sites (2,4 kg/ha) en avril 2017 dans 6 rivières typologiquement différentes afin de comparer leur potentiel pour une bonne survie, fitness et rétention des individus transloqués. La combinaison de la pêche à l’électricité de capture-marquage et de la télémétrie mobile RFID nous a permis d’évaluer efficacement le taux de rétention en anguillettes dans les différents secteurs étudiés ainsi que les préférences d’habitat des anguillettes. Nos résultats montrent que certaines typologies de cours d’eau situés loin à l’intérieur des terres sont capables de retenir une densité très élevée en juvéniles d’anguilles (densité maximum observée = 13 individus/100 m²), comparable à celle observée naturellement à proximité des estuaires. De plus, la croissance moyenne observée (5,1 cm en 6 mois) est comparable à celle observée en divers milieux eutrophes. Parmi les paramètres d’habitat étudiés, seul le substrat de fond influence significativement le gain biologique de croissance. Ces résultats indiquent que la translocation de civelles transparentes capturées en estuaire, dans des rivières situées en tête de bassins versants est une mesure potentiellement efficace pour soutenir ou recréer les stocks locaux, à conditions de procéder à une sélection rigoureuses des milieux à repeupler. Les connaissances acquises dans cette étude sur les caractéristiques hydromorphologiques et physico-chimiques nécessaires pour une bonne rétention d’anguillettes en eau douce pourraient servir de guide dans la définition de plans d’actions à des fins de sauvegarde et de conservation de l’espèce.