Lucien Kroll : Architecture et contre-culture dans les années soixante

Abstract

À partir de 1955, se développe aux États-Unis une nouvelle population, une nouvelle « classe d’âge » selon le terme utilisé par Edgar Morin. Cette classe d’âge possède sa propre culture au sein de la culture de masse et développe ses propres modes de vie, en opposition au monde adulte et animée par une quête de liberté et d’authenticité. Les revendications de cette culture « juvénile », en particulier la volonté d’émancipation, sont au cœur des mouvements étudiants des années 60 qui trouvent leur apogée durant l’année 1967-68, où ils éclosent un peu partout dans le monde. La Belgique ne reste bien entendu pas étrangère à ces mouvements et rapidement, ils se développent dans les différentes villes universitaires. À Leuven, une des principales revendications qui va éclater et trouver réponse des autorités facultaires est le « Walen buiten » où « Leuven Vlaams » selon qu’on se situe d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique. Ce qui aura pour conséquence la fondation de Louvain-La-Neuve et l’implantation de la faculté de médecine à Woluwe-Saint-Lambert. La bruyante clameur des étudiants nationalistes flamands en dissimulait d’autres. Dans la foulée de leur expulsion de Leuven, les étudiants de médecine de l’UCL manifestent pour plus d’autonomie et parviennent à obtenir le droit de choisir l’architecte de leur zone sociale. C’est donc naturellement que leur choix se porte sur Lucien Kroll. Les étudiants voulaient être entendus et pris en compte, Kroll leur offre cette écoute et leur offre une responsabilité dans le cadre du projet de la « Mémé » grâce à son concept de participation. La conception et le chantier de la faculté de médecine de l’UCL marque un tournant dans la carrière de Lucien Kroll. C’est le lieu de convergence de deux contestations, celle des étudiants mais aussi celle que l’architecte formule tout au long de son œuvre contre une modernité au fonctionnalisme écrasant. Ce travail tend à fournir une lecture du discours de Lucien Kroll sous l’éclairage des théories des contre-cultures développées dans les années soixante ainsi que les rapports que l’architecte entretien avec la pensée 68. La démarche « participative » de Lucien Kroll permet-elle l’émergence d’une contre-culture dans le champ de l’architecture ? Quels rapports l’architecte a-t-il entretenu avec le milieu de la contre-culture ? Et avec l’intelligentsia soixante-huitarde ? Quels ont été les apports de celle-ci à son discours ? Le projet du campus de Woluwé-saint-Lambert spatialise-t-il une « zone hors du monde adulte » pour la classe d’âge adolescente ?