Epistémologie de la violence politique. Les conflits irréguliers au prisme des savoirs stratégiques

Abstract

Notre mémoire a pour objet ce que nous avons nommé les « savoirs stratégiques », à savoir les connaissances produites par les administrations de sécurité – haute administration, sphères militaires, sphères du renseignement et de la sécurité – et leur valeur épistémologique. Le but de notre recherche et de notre questionnement théorique étaient de comprendre le type de savoirs produits par ces institutions sociales si particulières que sont les services de renseignement, vulgairement appelé « services secrets », et qui charrient un grand nombre de fantasmes auprès du grand public. Dans une volonté résolument critique, nous avons abordé le type de savoirs produits par ces institutions en problématisant les retombées politiques de ces « savoirs stratégiques », en particulier en ce qui concerne le contre-terrorisme. Cela nous a permis de montrer un mouvement de fond dans les démocraties occidentales, qui, au moyen de la généralisation de lois réactives à un contexte d’attentat terroriste – alors qu’elles devraient rester de l’ordre de l’exception selon la dogmatique juridique, elles tendent à se banaliser dans le droit courant –, impulsent un mouvement de fond ayant pour conséquence le transfert d’un grand nombre de prérogatives jusque-là exclusivement judiciaires à des instances exécutives, ce qui a des implications profondes sur la théorie politique de la démocratie et de l’État de droit. Nous avons rendu compte de ces déplacements à partir de l’agentivité propre des savoirs stratégiques que nous avons défini, dans un héritage foucaldien, comme des « savoirs de gouvernement ». Une fois cette problématisation théorique effectuée, nous avons envisagé les conflits contre-insurrectionnels comme des savoirs stratégiques. Nous avons produit une généalogie partielle de ces conflits, que nous avons répartis en trois grandes étapes – les guerres coloniales, le Premier Conflit mondial et la totalisation du fait guerrier, le Second Conflit mondial et l’entrée dans l’ère de la mondialisation – en étudiant les déplacements à l’œuvre relativement aux pratiques armées contre-insurrectionnelles. Cette généalogie nous a permis de tracer les contours des enjeux et retombées politiques des conflits contre-insurrectionnels, que nous avons étroitement associés à la question de la violence politique de masse. En effet, au travers d’une généalogie historique, nous avons voulu montrer comment une technique politique, comment un « savoir de gouvernement » – ou, tel que nous l’avons théorisé dans notre première partie, un « savoir stratégique » – avait des effets propres, et expliquait, quant elle était reprise par des acteurs sociaux, un grand nombre de retombées factuellement observables. Au confluent de la philosophie politique, de l’histoire des sciences et des relations internationales, nous avons voulu montrer comment une technique donnée implique un effet politique particulier. Dans le cas de notre étude, d’étudier la façon dont des techniques militaires ont aboutit à une violence politique croissante.