Mémoire de fin d'études: Architecture - Voiture : longue histoire d'une relation spatiale. Comment de grandes figures d'architecture du XXe siècle ont envisagé la place de la voiture dans leur vision de l'architecture et de l'urbanisme

Abstract

Ce travail de fin d’étude repose sur un double constat. D’une part, dans un monde dit post-car, les espaces physiques autrefois occupés par l’automobile tendent progressivement à se libérer. D’autre part, il apparaît moins évident de se défaire de l’emprise que la voiture occupe dans notre imaginaire, nos modes de pensée et nos manières d’agir. Cette pensée voiture, toujours active dans la manière dont nous concevons l’architecture et le territoire, mérite d’être interrogée.

L’objectif de ce mémoire est de décrire et d'analyser l'impact de l'automobile sur l'architecture et l'urbanisme. Mon intention est de retracer, à travers une sélection d’écrits d’architectes et une collection de documents visuels où la voiture occupe une place centrale, l’emprise qu’elle a exercée — et exerce encore — sur notre imaginaire, notre façon de penser et de concevoir l’espace.

Ce travail se concentre sur l’analyse de l’influence de l’automobile dans les œuvres et écrits de cinq figures majeures de l'architecture : Frank Lloyd Wright, Le Corbusier, Peter et Alison Smithson, le mouvement Radical Architecture, et la famille Koolhaas. Tous entretiennent un rapport singulier avec la voiture. Wright et Le Corbusier ont été témoins de l’essor de l’automobile et ont intégré cette réalité dans leur réflexion architecturale. Les Smithson et les membres de Radical Architecture se situent à une période charnière où l’automobile, devenue bien commun, coïncide avec l’émergence des premières crises énergétiques et écologiques. Le choix d’étudier les Koolhaas repose sur trois axes : la lecture critique et rétrospective de Rem Koolhaas, l'influence de concept-cars futuristes présentés dans les salons automobiles contemporains, ainsi que le travail de Barend Koolhaas, qui a redéveloppé le concept d’une voiture minimale.

L’analyse sera développée selon une même structure pour chaque architecte. Un état de l’art présentera d’abord les principaux écrits existants sur leur rapport à l’automobile, ainsi que les éléments essentiels que j’ai recherchés, où les architectes eux-mêmes ont écrit, dessiné, collecté ou photographié des voitures. Ensuite, j'étudierai les véhicules qu’ils ont conduits ou conçus, afin d’identifier l’ADN de leur relation à l’automobile. Cette recherche permettra de comprendre comment leur rapport à la voiture a influencé et stimulé leur production architecturale. Enfin, l’analyse s’achèvera en montrant de quelle manière cette relation a façonné leur vision urbaine et territoriale. Chaque étude est accompagnée d’une série d’images présentées en marge du texte ainsi que d’un photo-roman en seconde partie.

Chacun des architectes étudiés a contribué de manière significative à l’histoire de l’architecture du XXᵉ siècle, en réinterprétant les relations entre la voiture, l’homme, l’espace et la société. Ce mémoire cherche ainsi à explorer comment l’automobile a pu influencer, façonner ou inspirer leurs pratiques et réflexions architecturales et urbaines.

Frank Lloyd Wright, par sa conception d'une pré-ville horizontale, a de son côté cherché à intégrer les bâtiments dans leur environnement naturel, adoptant une approche plus intime, organique et harmonieuse de l’espace. Pour lui, l’automobile incarne avant tout un objet de liberté, capable de libérer l’individu des contraintes de l’urbanisme traditionnel et de l’ouvrir à de nouveaux territoires. Contrairement à Wright, Le Corbusier a pour sa part défend une architecture fonctionnelle, rationnelle et pensée pour être produite en série. Il voit dans l’automobile l’expression même de la modernité et du progrès, portée par la standardisation industrielle. Dans sa vision, l’enjeu est de préserver la ville dense en garantissant l’efficacité et la fluidité des déplacements, notamment par l’usage de voitures minimales.

Peter et Alison Smithson, quant à eux, développent un véritable coup de foudre pour la Citroën DS, perçue comme une voiture As Found pour tous l’imaginaire qu’elle incarne. Ils l’écrivent, la collectent, l’analysent et la conduisent, abordant cette déesse à la fois comme un symbole de la société de consommation et comme un poste d’observation, derrière le volant, à travers le pare-brise sans oublier de regarder dans le rétroviseur — élément retiré des voitures de Frank Lloyd Wright, selon une anecdote souvent rapportée, car il affirmait ne jamais regarder en arrière. Avec les membres du groupe Radical Architecture, et notamment leur projet de non-voiture, la Kar-a-Sutra montée sur un châssis de Citroën SM, la critique s’intensifie : l’automobile devient un Global Tool, non plus un objet de consommation, mais un dispositif qui invite à repenser nos relations entre nous, avec les objets, et avec le monde. Ici, la voiture se transforme en moyen d’exploration, en outil de remise en question des normes établies et en vecteur de nouvelles manières d’habiter et de percevoir notre environnement. Enfin, la lecture rétrospective de Rem Koolhaas aborder de manière inspirante l'influence de l'automobile dans l'architecture, ainsi que ses observations polémiques et les débats qu’il entretient avec les concepteurs automobiles contemporains. À travers ses nombreux écrits, on comprend que la voiture, en tant qu'objet de congestion à Manhattan, a joué un rôle fondamental dans l’émergence de sa pensée métropolitaine, essentielle pour OMA. Dans S, M, L, XL, des notions telles que Drive et Speed apparaissent comme des entrées majeures, tandis que dans Generic City, un chapitre entier est consacré à l'infrastructure automobile. Dès son projet pour Lagos, Rem Koolhaas aborde la ville africaine à travers une grille de lecture héritée des infrastructures européennes, où les termes go-slow et no-go viennent témoigner de l’effondrement de cette vision et ouvrent la voie à de nouvelles pratiques urbaines. Revendiquant lui-même l'idée de je suis plusieurs, Rem Koolhaas s’inscrit dans une approche éclatée, démultipliée, que l’on retrouve également au sein de sa propre famille : deux membres ayant travaillé chez AMO, Barend Koolhaas et Rem D. Koolhaas, prolongent cette réflexion à travers la création de prototypes automobiles, désormais au cœur des discours des salons internationaux.

Ce projet se veut à la fois personnel et original, en approfondissant des connaissances dans le champ de l’architecture tout en tissant des liens étroits entre l’histoire de l’automobile et les conceptions architecturales. À travers cette étude, il s’agira de saisir comment l’évolution de l’automobile a interagi avec les mutations de l’architecture contemporaine : depuis la conception des espaces et des bâtiments, jusqu’à l’intégration — ou parfois la remise en question — de l’automobilité dans les visions du futur urbain, sans oublier les projets où l’architecture a conduit elle-même à la création de nouveaux types de véhicules.