Travail de fin d'études / Projet de fin d'études : Potabilisation de l'eau à l'échelle d'un lotissement : évaluation d'un modèle décentralisé

Abstract

L’accès à une eau potable de qualité constitue l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle, au croisement des défis environnementaux, sociaux et institutionnels. En Wallonie, région traditionnellement considérée comme riche en ressources hydriques, la pression croissante liée au changement climatique, à l’urbanisation et à l’augmentation des besoins questionne la résilience des réseaux publics centralisés. Dans ce conteste, des solutions décentralisées, telles que la récupération et la potabilisation des eaux de pluie, émergent comme des alternatives ou des compléments potentiels, susceptibles de contribuer à diversifier les sources d’approvisionnement et à renforcer la sécurité hydrique des territoires. Le présent mémoire s’inscrit dans cette réflexion et pose comme question centrale : Potabilisation de l’eau à l’échelle d’un lotissement : évaluation d’un modèle décentralisé. L’objectif est d’évaluer, à partir de cas concrets et d’analyses prospectives, la faisabilité, les performances et les conditions de viabilité d’un tel modèle, en combinant une lecture technique, sociale et institutionnelle. La littérature internationale met en évidence une dynamique croissante autour de la récupération et de l’usage des eaux pluviales, motivée par la volonté de réduire la dépendance aux réseaux centralisés, de renforcer la résilience face aux crises hydriques et de sensibiliser les usagers à une gestion plus durable de le ressources. Toutefois, l’intégration de tels systèmes demeure freinée par des obstacles institutionnels, économiques et sociaux. Les expériences menées à l’étranger montrent que les systèmes groupés, dimensionnés à l’échelle d’un quartier ou d’un lotissement, présentent un intérêt particulier grâce à la mutualisation des surfaces de collecte et aux économies d’échelle dans le traitement. Néanmoins, leur réussite dépend largement de facteurs contextuels, tels que la densité résidentielle, le régime pluviométrique, les règles d’urbanisme et la gouvernance institutionnelle. Pour évaluer leur pertinence, des méthodes de dimensionnement variées ont été développées, allant de modèles empiriques à des approches stochastiques sophistiquées, tandis que les indicateurs de performance proposés par Hashimoto et al. (1982) – fiabilité, vulnérabilité, et résilience – se sont imposés comme des références incontournables pour mesurer la robustesse des systèmes soumis à l’aléa hydrologique. La méthodologie adoptée repose sur trois volets complémentaires. Le premier est une étude rétrospective es projet pilotes portés par le groupe Horizon à Fléron et à Seraing, lotissements équipés de dispositifs collectifs de récupération et de potabilisation des eaux de pluie, dont les performances ont été analysées sur la base des données techniques et d’un retour d’expérience des habitants. Le second volet est une étude prospective sur a commune de Hamoir, où une cartographie multicritères a permis d’identifier trois sites – Comblain-la-Tour, Filot et Hamoir-centre – répondant aux conditions minimales d’implantation. Ces sites ont ensuite fait l’objet d’un dimensionnement calibré, visant la quasi-autonomie définie par un objectif de fiabilité de 92%, et de simulations hydriques menées à partir de séries climatiques observées (IRM, 1991-2020) et projetées (CORDEX RCP 8.5, 2021-2050), y compris des variantes de +10% et +20% de précipitations. Le troisième volet de l’étude est une enquête qualitative menée auprès des habitants des projets Horizon, diffusé via un questionnaire en ligne, afin de recueillir leurs perceptions en matière de fiabilité, de continuité de service et d’acceptabilité sociale. Les résultats des cas Horizon mettent en évidence une fiabilité structurellement limitée, avec une couverture journalière moyenne de 40 à 55% selon les années et scénarios climatiques, et ce malgré des infrastructures comprenant réservoirs, osmose inverse et désinfection. La vulnérabilité est élevée, avec des déficits moyens dépassant 10 000 litres par épisode, plus marqués à Fléron qu’à Seraing. La résilience est faible, traduisant la difficulté des systèmes à revenir rapidement à un état de fonctionnement normal après un déficit. Ces constats invalident l’affirmation d’une autonomie complète avancée par le promoteur et soulignent la difficulté d’atteindre un autonomie substantielle dans un contexte bâti dense. À noter également qu’une simplification méthodologique a consisté à ne pas prendre en compte les surfaces de voirie dans les calculs de collecte, ce qui tend à sous-estimer légèrement le potentiel disponible. En revanche, les scénarios prospectifs intègrent cette dimension indirectement à travers un critère correctif de 75% appliqué pour estimer un nombre de logements plus réaliste. Une piste de recherche ultérieure consisterait à intégrer systématiquement ces surfaces afin de mesurer leur influence sur les bilans hydriques. À Hamoir, l’approche prospective montre qu’il est techniquement possible d’atteindre une fiabilité de 92%, seuil fixé pour la quasi-autonomie, dans les trois sites étudiés. Les volumes de stockage calibrés permettent effectivement de couvrir la demande dans plus de neuf jours sur dix. Cependant, la résilience demeure insuffisante : près d’un épisode déficitaire sur deux se prolonge au-delà d’une journée, certains excèdent une semaine. Cette fragilité met en évidence qu’un fonctionnement en quasi-autonomie implique nécessairement l’occurrence de périodes de pénurie, parfois prolongées. Autrement dit, l’accès à l’autonomie hydrique s’accompagne inévitablement d’interruptions temporaires de service, dont la fréquence et la durée doivent être acceptées comme partie intégrante du modèle. Le scénario de densification confirme la sensibilité des systèmes à la pression démographique : l’augmentation de la demande cumulée entraîne mécaniquement une fréquence et une gravité accrues des déficits, érodant la continuité de service malgré une fiabilité moyenne satisfaisante. La densité résidentielle apparaît ainsi comme un facteur structurant majeur, au même titre que la pluviométrie et la morphologie des toitures. L’enquête auprès des habitants de Fléron et Seraing complète ces analyses en révélant un décalage entre performances calculées et fiabilité perçue. Un habitant de Seraing a signalé avoir subi des interruptions temporaires de service, allant d’une demi-journée à une journée entière, vécues comme perturbatrices et génératrices de méfiance. Bien que ce témoignage reste isolé, il illustre la manière dont la continuité vécue constitue un critère central d’acceptabilité et de confiance. L’enquête, volontairement conçue comme non exhaustive afin de maximiser le nombre de réponses, n’intégrait pas de volet spécifique sur les situations de pénurie. Cette omission constitue une limite notable, dans la mesure où la perception de la continuité du service s’est révélée être un critère central d’acceptabilité. Dès lors, le témoignage recueilli à Seraing pourrait ne pas être aussi isolé qu’il n’y parait et traduire une expérience plus largement partagée, mais demeurée hors du champ de l’enquête. La persistance de l’usage de l’eau en bouteille pour les usages alimentaires traduit également une prudence, voire une défiance résiduelle, vis-à-vis de la qualité sanitaire de l’eau distribuée par ces systèmes. Ces éléments confirment que la réussite d’un modèle décentralisé ne saurait reposer uniquement sur la performance technique, mais dépend tout autant de la transparence des règles d’exploitation, de la lisibilité des usages prioritaires et de la confiance sociale dans le service. La discussion des résultats let en évidence plusieurs enseignements. Premièrement, la fiabilité, bien qu’essentielle, ne suffit pas à évaluer la performance globale : seule une lecture croisée avec la vulnérabilité et la résilience permet d’appréhender la continuité réelle du service. La résilience, initialement envisagée comme critère de dimensionnement, s’est révélée difficilement atteignable et a finalement été retenue comme un indicateur d’évaluation a posteriori. Elle confirme que la quasi-autonomie s’accompagne inévitablement de périodes de pénurie plus ou moins longues. Deuxièmement, la densité résidentielle et la morphologie des bâtiments sont des facteurs déterminants du dimensionnement, qui conditionnent directement la possibilité d’atteindre des niveaux satisfaisants de robustesse. Troisièmement, l’intégration d’un seuil minimal de 50 litres par logement et par jour s’avère cruciale pour garantir une exigence de service minimale et éviter que des résultats statistiques ne masquent des situations d’inconfort. Enfin, du point de vue, institutionnel, l’expérience du contentieux Horizon/CILE illustre les tensions générées par des initiatives privées non encore pleinement reconnues dans le cadre légal wallon, centré sur un modèle public de distribution. Sur le plan opérationnel, l’étude recommande d’intégrer explicitement la résilience comme critère de conception, en fixant des seuils maximaux de durée et de fréquence des interruptions. La règle d’appoint doit être clarifiée et transparente, afin de garantir la continuité du service et la confiance des habitants. Sur le plan territorial, l’intégration des dispositifs dans les projets résidentiels dès la planification est déterminante, notamment par la réservation d’emprises foncières adaptées. Une piste de recherche particulièrement intéressante concerne les zones de compensation du plan de secteur, actuellement classées en zones agricoles, mais qui pourraient, dans le cadre des mécanismes de compensation urbanistique, devenir constructibles et accueillir de tels projets. Ces zones offrent en effet des surface importantes, souvent en périphérie des villages, favorables à l’implantation de réservoirs collectifs. Ce travail présente plusieurs apports scientifiques et méthodologiques. Il propose une double approche, rétrospective et prospective, qui met en regard les performances observées et les potentiels futurs. Il illustre la pertinence des indicateurs de Hashimoto pour analyser la robustesse des systèmes décentralisés et introduit une méthodologie de calibrage incrémental reproductible. Il démontre enfin l’intérêt d’articuler analyses techniques, spatiales et sociales pour appréhender des dispositifs complexes. Ses limites doivent néanmoins être reconnues : le recours à un seul scénario climatique (RCP 8.5), l’hypothèse simplificatrice d’une consommation uniforme, l’absence d’évaluation économique approfondie et la non-prise en compte des voiries dans les cas Horizon. En conclusion, ce mémoire montre que les systèmes collectifs de récupération et de potabilisation de l’eau de pluie peuvent atteindre des niveaux élevés de couverture annuelle, mais que leur continuité de service reste fragile face aux épisodes secs prolongés et aux contraintes de densité. Ils doivent être envisagés non comme des alternatives totales, mais comme des compléments robustes aux réseaux publics centralisés, capables de contribuer à la résilience territoriale à la diversification des sources. Leur réussite dépendra de l’intégration simultanée de critères de résilience, de règles de gouvernance adaptées et de l’adhésion des habitants. Dans un contexte de changement climatique et de pressions croissantes sur la ressource, la potabilisation décentralisée à l’échelle d’un lotissement représente une opportunité réaliste, à condition d’être pensée dans une stratégie territoriale intégrée et institutionnellement stabilisée.

Drinking Water Production of at the scale of a Housing Development: Assessment of a Decentralised Model Access to safe drinking water is increasingly challenged by climate change, urbanisation, and rising demand. In Wallonia, Belgium, centralised public networks dominate, yet their resilience is being questioned. This thesis evaluates the feasibility and performance of decentralised rainwater harvesting and treatment systems at the housing development scale. The main objective was to determine to what extent such systems can provide a reliable and socially acceptable complement to centralised supply. To this end, the research combined three approaches: case studies of Horizon group projects in Fléron and Seraing, assessed through reliability, vulnerability and resilience indicators; a prospective analysis of three potential sites in Hamoir based on GIS land suitability mapping, reservoir sizing and hydrological simulations under observed and projected climate data (RCP 8.5, including +10% and +20% variants); and a qualitative survey with Horizon residents on perceptions of reliability and service continuity. The findings highlight structural limitations in dense environments: The Horizon projects demonstrated structural limitations, with daily coverage of 40-55%, high vulnerability and weak resilience. In Hamoir, the 92% reliability target was achieved, yet resilience remained insufficient: nearly half of shortage events lasted more than one day, and some extended beyond a week. These findings confirm that quasi-autonomy inevitably entails periods of shortage, sometimes prolonged, and that full continuity of service cannot be guaranteed. Residential density and roof morphology emerged as critical factors. Socially, one resident reported half-day to full-day interruptions, while the absence of specific survey questions on shortages limited interpretation. The study concludes that decentralised drinking water systems can achieve high levels of coverage but should be considered as robust complements rather than substitutes to centralised networks. Their success depends on integrating resilience criteria, transparent governance and user acceptance. Methodological limitations include the exclusion of road surfaces in the horizon case calculations – although partially addressed through a corrective factor in the prospective analysis – and the absence of a dedicated survey module on shortages. Future research should address these aspects to better align technical performance with lived experience.