Reconstitution de l'histoire évolutive de deux espèces de champignons lichénisés lors des changements climatiques du quaternaire grâce à une approche de génomique des populations

Abstract

Ce mémoire s’intéresse à deux espèces de champignons lichénisés, Peltigera appalachensis ad. int. et Peltigera vitikainenii ad. int. (Peltigerales, Lecanoromycetes), qui ont toutes les deux une répartition panboréale, mais qu’on retrouve également dans les montagnes tempérées d’Amérique du Nord pour la première, et au Japon pour la seconde. Notre hypothèse est que ces deux zones tempérées ont servi de refuge glaciaire pour l’ancêtre commun de ces deux espèces, que ces espèces se sont isolées l’une de l’autre pendant une période glaciaire, lorsque la zone boréale était sous glace, et n’ont recolonisé la zone boréale que récemment. L’objectif général de ce mémoire est de tester cette hypothèse via des méthodes de génétiques des populations sur des données génomiques. En effet, une recolonisation unique et récente de la zone boréale devrait conduire à une diversité génétique faible au sein de cette zone.

Plus particulièrement, le premier objectif a été de réaliser une mission sur le terrain dans la chaîne de montagnes des Appalaches et des Ozark aux États-Unis pour récolter les spécimens de Peltigera appalachensis ad. int. destinés au séquençage métagénomique.

Ensuite, nous avons sélectionné 57 thalles de Peltigera sur base de leurs séquences ITS et de leur origine géographique. Nous avons séquencé les métagénomes de ces lichens avec la plateforme Illumina NovaSeq 6000. Les lichens étant des symbioses entre un champignon (dans notre cas, du genre Peltigera), un partenaire photosynthétique et une grande diversité de microorganismes qui forment son microbiome, nous avons séquencé les métagénomes de ces thalles, c’est-à-dire le génome de tous les organismes qui le composent. Le second objectif de ce mémoire a été d’assembler ces métagénomes et de réaliser un binning, c’est-à-dire de séparer les différentes séquences du métagénome selon l’organisme auquel elles appartiennent.

Enfin, le troisième objectif était de réaliser des analyses de génétique des populations sur la bin contenant le génome des Peltigera. Pour ce faire, nous avons fait du « SNP calling », nous avons détecté plusieurs milliers de sites du génome avec des variations dans la séquence d’ADN entre les différents individus (SNP, ou Single Nucleotide Polymorphism). Nous avons utilisé ces données SNP pour réaliser des analyses de génétique des populations. Parmi celles-ci, le clustering automatique et les analyses en composantes principales (ACP) séparent effectivement P. appalachensis et P. vitikainenii en deux groupes distincts, ce qui confirme qu’il s’agit bien de deux espèces bien isolées. De plus, ce dernier sépare également les spécimens boréaux et tempérés en ce qui concerne P. appalachensis. Les ACP groupent la plupart des échantillons boréaux de P. vitikainenii, qui sont génétiquement très proches, ensemble, à l’exception d’un échantillon d’Alaska qui représente sans doute un événement distinct de recolonisation de la zone boréale. La diversité génétique est plus élevée au sein des P. appalachensis tempérés en comparaison aux P. appalachensis boréaux. Cette même tendance est observée plus nettement encore concernant P. vitikainenii. L’hypothèse d’une recolonisation récente de la zone boréale à partir des potentielles zones refuges tempérées (Appalaches/Ozark et Japon, respectivement) est donc soutenue par nos données génomiques.